II – Le modèle du burn out professionnel appliqué aux mamans
Ils sont nombreux à avoir étudié le comment et le pourquoi du burn out professionnel. Comment il s’insinue peu à peu dans la vie des individus et pourquoi il aboutit à leur effondrement physiologique et psychique. En s’appuyant sur les travaux de Violaine Guériltaut, dans son livre « La fatigue physique et émotionnelle des mères », nous allons faire le parallèle entre les caractéristiques reconnus de l’épuisement maternel et le fait que ceux-ci s’appliquent parfaitement aux mamans. Après avoir démontré que tous les facteurs de stress au travail se retrouvent à la maison (A), nous verrons que le burn out maternel suit exactement les mêmes stades d’évolution que le burn out professionnel (B). Nous finirons par examiner les conséquences, parfois dramatiques d’un épuisement maternel (C) puisque contrairement au milieu du travail, les premiers impactés seront les enfants.
A- Les facteurs de stress au travail … et à la maison !
Il est désormais reconnu que le burn out professionnel est la conséquence d’une accumulation de stress modérés mais qui nécessite beaucoup d’énergie pour y faire face parce qu’ils sont répétitifs et que surtout, rien ne semble présager de leur fin. Certains facteurs jouent un rôle prédominant dans l’apparition de l’épuisement professionnel des salariés et je souhaite démontrer qu’ils s’appliquent tous aux mamans. En effet, nous verrons que la surcharge de travail (1), l’imprévisibilité et le manque de contrôle sur les tâches (2), ainsi que l’absence de reconnaissance du travail accompli (3) est source d’épuisement tant physique qu’émotionnel.
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La surcharge de travail
Le numéro un, dans le palmarès des facteurs de stress et d’épuisement , est sans aucun doute la surcharge de travail et les mères n’échappent pas à cette règle, comme l’illustre un vieil adage anglais qui dit que « un homme travaille depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, mais le travail d’une mère ne finit jamais. »
Imaginez une petite annonce qui dirait : cherche jeune femme dynamique et patiente pour être éducatrice spécialisée, infirmière, maîtresse d’école, chauffeur de taxi, cuisinière, responsable des achats, animatrice, aide ménagère, médiatrice et conseillère psychologique. Disponibilité requise 24h sur 24, 7j sur 7, sans congés possible ni rémunération. Contrat à durée totalement indéterminée et démission inenvisageable. Permis de conduire indispensable, mais aucune passion nécessaire car vous n’en n’aurez plus le temps. Qui signerait ?
Finalement qu’est-ce-que le travail d’une mère ? J’entends souvent des personnes dire, « les enfants c’est la vie, c’est la plus belle chose au monde, profitez ça passe vite » … mais heureusement que ça passe vite ! Parce que des nuits saccadées ou carrément blanches, des tâches ménagères multipliées par 4 et une attention dirigée continuellement vers sa progéniture avec un total oubli de soi, ce n’est pas viable très longtemps !
Je ne résiste pas à l’idée de vous faire goûter avec humour à une de mes journées types :
Minuit, je dors profondément jusqu’à ce qu’un hurlement retentisse de la chambre de ma fille de 9mois, je me lève d’un bond, prête à la secourir …. ou à ramasser sa tétine…. Pour la 4ème fois depuis que je l’ai couchée, soit une moyenne d’une fois par heure.
1h28 : Mon fils m’appelle en pleurant, il a fait pipi au lit. Mission commando, me voilà en train de changer les draps et le pyjama et programmer la machine pour 7h car j’en aurai une autre à faire dans la journée !
1h40 : je me couche … zut, c’est en plein dans un cycle de sommeil, je n’arrive pas à m’endormir. Mon homme ronfle. Réflexion : pourquoi n’entend-il pas les enfants ?
2h28 : Réponse : parce que je suis une bonne poire et qu’il sait très bien que je vais le faire à sa place … parce qu’il se laisse le choix et pas moi … parce que … parce que … et me voilà en colère.
2h45 : je me rendors enfin.
5h30 : Ma fille se réveille en hurlant « Ma maaaa » … mais que lui arrive t-il encore ? Rien, elle n’a juste plus sommeil et veut jouer. Je la prends dans notre lit et m’écroule sur l’oreiller.
7h : Le réveil sonne, ma fille vient de s’endormir, mon homme s’étire, m’embrasse et me dis « Tu as bien dormi ma chérie ? ». Je ne lui réponds pas ,ce qui est interprété par un « oh là là, tu es toujours énervée » … alors que c’était pour lui éviter une crise. Tant pis, il y a droit.
7h10 : C’est parti pour le sprint matinal du café, douche, déjeuner, habillage des monstres et tentative de camouflage des cernes et de maquillage des DEUX yeux ! Tout ça en comptant 2 minutes de battement pour gérer les imprévus que sont : rhabiller ma fille que son père a pris pour un clown qui devait réussir à porter 8 couleurs différentes, changer le pantalon de mon fils qui a fait glisser sa tartine dessus, nettoyer la régurgitation de ma fille mais ouf, ça n’a pas touché mes cheveux !
8h20 : départ dans la joie et la bonne humeur … non, je plaisante c’est plutôt du genre « Mais viiiiite ! Pourquoi tu regardes ce caillou, on s’en fouuuuut ! ». Dépôt du grand à 8h35.
8h45 : Dépôt de la petite chez sa nounou … mes minutes sont comptées car j’ai mon premier patient à 9h ! D’habitude je reçois à partir de 9h30 mais parfois cela n’arrange pas la personne !
De 9h à 16h, je prie pour que ni l’école, ni la nounou ne m’appellent en me disant « il faut venir, c’est la gastro! » car aujourd’hui mon homme a une réunion trèèès importante.
16h20 : Après avoir raccompagné mon dernier patient du jour, jeté tous mes papiers dans mon sac et sauté dans la voiture, me voilà devant l’école pour récupérer mes deux ptits loups : Le grand me dit « on va au parc ? Je lui réponds non, il me dit que je suis énorme méchante ! ». La petite me sourit et je me dis que je les aime par dessus tout.
16h25 : je change d’avis illico, le grand fait un caprice car il veut aller au parc et la petite pleure car elle fait une dent.
16h45 : arrivée à la maison pour le goûter, la machine à étendre, le repas à préparer, ranger le bazar laissé le matin. Et là je me dis que l’année prochaine c’est le CP et il va y avoir les devoirs en plus !
18h30 : C’est l’heure du bain, je me plie en 4 pour rester à côté de ma fille qui ne tient pas bien encore assise et je dois me débattre avec elle pour la sortir …. mais pourquoi ne comprend elle pas que l’eau est froide ?
19h : Le repas prêt, viendra la routine du coucher avec la petite histoire … et dodo ! Qui dit routine dit suite logique et tranquille de choses à faire : arrêt pipi pour le grand, brossage de dents, aller choisir un petit livre, se mettre au lit gentiment et s’endormir une fois la lumière éteinte. Pourquoi n’est-ce jamais le cas ? Pourquoi est ce plutôt une routine de négociation, chantage et menaces !?
19h30 : Je sors de la chambre des petits en me disant que je vais enfin avoir une minute à moi, juste à moi, mais l’homme rentre de sa journée et me lance « ça va mieux ma chérie ? Tu as passé une bonne journée ? ». Zut, je n’ai pas non plus envie de lui répondre mais il le faut pour éviter toute interprétation surfaite !
19h40 : Préparation de la journée de travail de demain avec mon homme qui souhaite que je lui raconte comment s’est passée l’école du grand et la journée de la petite.
20h30 : Repas en amoureux, c’est censé être le moment où je redeviens une femme attentionnée, séductrice et joyeuse … mais avec la fatigue je n’ai pas très faim et j’ai du mal à tenir mon sourire ou même à trouver une chose drôle à raconter puisque dans ma tête se bouscule la fameuse liste de tâches à faire demain et celles que je n’ai pas eu le temps de faire aujourd’hui !
21h : On regarde un petit film ? Ah ouiii bonne idée …
21h04 : Je me fais la réflexion que ma vie n’est pas vraiment celle dont je rêvais … que je me retrouve trop souvent minutée, que je me sens trop souvent stressée et tendue, que j’ai l’impression d’avoir perdu une partie de moi en route et que …
21h05 : Je dors.
Cette journée caricaturale ne parle pas des courses à gérer, des tâches purement ménagères que sont le linge (c’est fou ce qu’un petit être de 5kg peut consommer comme vêtements!), l’aspirateur, la serpillière ou la vaisselle, ni même les rendez-vous à prendre chez le pédiatre, l’orthophoniste ou gérer des dossiers pour les inscriptions au sport ou trouver une nounou en urgence car la mienne déménage ! Et évidemment cette journée type parle de 2 enfants de 6 ans et 9 mois, donc la surcharge de travail se démultiplie avec 3 enfants ou plus, pour les mamans solo et je suppose que d’autres tracas quotidiens apparaissent lorsque les enfants grandissent !
De tous les témoignages sur le quotidien des mères qui travaillent ou au foyer, il ressort une certaine lassitude à accomplir les tâches banales et routinières d’entretien de la maison et de gestion des enfants. Certains psychologues n’hésitent pas à comparer cela à l’histoire mythologique du rocher de Sisyphe : Zeus le condamna à faire rouler un immense rocher au sommet d’une colline. Parvenu au sommet, le rocher dégringolait la pente et Sisyphe devait éternellement recommencer sa manœuvre. Cette frustration liée à l’impression d’un travail jamais fini, est un facteur de stress non négligeable.
Une maman de 2 enfants de 8 ans et 4 ans témoigne : « Enceinte, j’imaginais ma vie avec mes enfants faite de sorties interminables au parc, de moments de câlins et de rire autour de la préparation d’un bon gâteau. Aujourd’hui, ma vie quotidienne comprend bien des sorties au parc et des gâteaux en tout genre, mais elle comprend tout un tas de choses qui ne faisaient pas du tout partie de mes rêves!Je n’avais aucune idée du temps que je passerai à changer des couches, à laver des tonnes de vêtements, à nettoyer les assiettes renversées, à ramasser des jouets dans des endroits incongrus, à conduire les enfants à droite et à gauche pour des rdv médicaux ou des séances de piano, à m’occuper des bobos ou des devoirs interminables et sans parler des nuits sans sommeil que je ne compte plus. Pas un seul instant je m’imaginais pouvoir crier sur mes enfants quand ils me poussent à bout. Je ne m’étais jamais non plus imaginée stressée à l’idée qu’à mon retour du parc je retrouverai la maison avec un tel désordre et une pile de linge énorme à laver et à repasser. Je ne m’attendais pas à des vacances, c’est vrai, mais je ne m’attendais pas non plus à travailler deux fois plus que si j’étais au bureau ! »
Beaucoup de mère en activité confient en effet que la maternité leur semble plus souvent complexe et plus éprouvante que leurs responsabilités professionnelles.
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L’absence de contrôle et l’imprévisibilité du quotidien
Dans le contexte professionnel, l’imprévisibilité des tâches représente une source de stress car empêche le salarié de se concentrer sur une chose précise. Arnaud, 38 ans, explique qu’il apprend la soir pour le lendemain qu’il doit présenter une conférence à 14h. Arrivé tôt au travail il se met sur son power point mais 30 minutes plus tard, une collègue l’interrompt pour demander un avis, puis c’est sa stagiaire qui lui demande de l’aide et le mobilise pendant 20 minutes. Il ne s’était pas remis au travail depuis un quart d’heure que c’est son patron qui le convoque pour le briefer sur un autre projet. Cet ingénieur témoigne alors d’un stress qui commençait à le gagner, une colère même devant la matinée qui défilait et la mise en page de sa conférence qui n’avançait pas, alors que ce travail lui aurait pris 1h maximum si il n’avait pas été interrompu constamment et perdu sa concentration et le fil de ses idées.
Le quotidien d’une mère regorge de tâches imprévisibles qui viennent perturber son planning qui est déjà minuté par le rythme des enfants, leurs besoins et leurs envies ! L’imprévisibilité est une situation qui émerge sans l’avoir prévue mais que l’on peut gérer en faisant preuve d’adaptation. Cela peut aller de la classique envie d’aller aux toilettes alors qu’on est tous ceinturés dans la voiture et prêts à partir, à la grève de cantine du midi, en passant par les maladies infantiles qui surgissent à l’improviste et les grands moments de solitude où votre enfant chéri à décidé qu’il allait s’asseoir là, par terre, car il n’a plus du tout envie de marcher.
On entend parfois des patrons, des maris ou des ami(e)s qui estiment que ce n’est qu’une question d’organisation, si la mère est disciplinée et rigoureuse, la journée se déroule bien et laisse même place à des pauses et du temps pour soi. C’est effectivement la première chose à laquelle une maman pense : « je dois être désorganisée, il faut que je me lève plus tôt, que je prépare plus de chose la veille, que je sois plus ferme avec mes enfants pour qu’ils respectent le cadre » mais cela ne suffit parfois pas. Des sites internet fleurissent sur comment gérer son emploi du temps et j’ai même vu des journées de formations intitulées « zen et organisée ».
Au-delà du caractère imprévisible du quotidien de la mère, nous pouvons noter comme facteur de stress supplémentaire, l’absence de contrôle sur les événements, c’est à dire que la maman ne peut rien faire d’autre que les subir. Les pleurs des nourrissons en cas de coliques ou d’angoisses nocturnes, sont un exemple parfait, la maman peut se retrouver sans d’autre solution que faire preuve de patience, en massant, rassurant ou berçant son bébé qui souffre et hurle parfois pendant plusieurs heures et ce, de façon quotidienne. Cet absence de contrôle sur les choses fait naître un sentiment d’impuissance et le degré de stress ressenti est alors extrêmement élevé.
Nathalie témoigne de son cauchemar : « Vers 2 mois, ma fille a commencé à avoir des coliques. Tous les soirs, vers 17h elle se mettait à pleurer pendant plusieurs heures pour finalement s’arrêter brutalement vers 20h ou 21h.Pendant ces heures de pleurs continus, rien ne pouvait la soulager. Je la portais en la berçant de long en large en sachant qu’il n’y avait rien d’autre à faire. De ma vie entière, je n’avais jamais eu autant la sensation d’être impuissante face à un problème, surtout que ce problème touchait mon bébé et que cela m’était insoutenable. Pendant les 3 mois où ma fille a souffert de coliques, j’étais dans un état de stress constant, je voyais arriver les fins de journée avec horreur et j’étais angoissée à l’idée de devoir affronter une nouvelle soirée de hurlements. A la fin, j’étais épuisée et vide de toute mon énergie. »
Une autre maman explique dans un rire un peu jaune « Asseyez-vous dans la salle des urgences de l’hôpital avec votre enfant de 18 mois à qui l’on vient de diagnostiquer un traumatisme crânien après une chute la tête la première sur le carrelage. Il avait réussi à grimper sur la table de la cuisine, profitant de mon incapacité à être à la fois dans la cuisine et dans la salle de bain où j’étais occupée à changer la couche de sa petite sœur. Voilà à présent mon enfant couché sur une civière pendant que vous attendez qu’un médecin vienne vous dire si la vie de votre enfant est en danger ou non. Tout, dans ce cas, semble être hors de contrôle ! »
Certaines personnes peuvent alors se dire qu’il s’agit-là d’une négligence et d’un défaut d’attention de la part de la maman. Je mets au défi toute mère, de n’avoir aucune anecdote à raconter sur un moment de frayeur où d’accident imparable qui ont ou auraient pu conduire leur enfant aux urgences. Qui n’a pas assisté à un enfant qui s’emmêle les pieds et se fracasse l’arcade sur le coin de la table ? Qui n’a pas rattrapé de justesse un petit qui trouve marrant de monter sur la table basse et de sauter sur le canapé en sous estimant la distance ? Ma sœur s’est ouvert le front sur le radiateur car elle a trouvé amusant de grimper sur une pile de livre pour attraper un paquet de couche ! Ah la créativité des enfants n’a aucune limite et surpasse largement celle des parents surtout quand il s’agit d’imaginer des bêtises ! Et pour les plus réfractaires, ne vous faites aucun soucis : une mère culpabilisera toujours, et parfois, toute sa vie, lorsque son enfant tombe ou se fait mal et même si elle n’a rien pu faire, elle pense toujours qu’elle aurait pu et du.
En conclusion, l’absence de contrôle et le sentiment récurrent d’impuissance est particulièrement néfaste pour la santé physique et mentale de tout individu . Nous avons besoin de sentir que nous avons un certain pouvoir sur les choses, que ce soit au travail ou dans la vie en général. Les scientifiques ont fait des expériences et ont démontré que les rats qui n’avaient aucun contrôle sur un événement stressant développaient des ulcères et voyaient leur système immunitaire s’affaiblir. De même, un employé qui manque de contrôle sur son travail voit son sens de l’initiative se détériorer, sa créativité affectée, pour finalement en arriver à un état de démotivation important qui risque d’affecter son efficacité et sa productivité.
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L’absence de reconnaissance d’une mère
Demandez à une mère si elle se souvient la dernière fois où son mari, un membre de la famille ou de son entourage proche lui a dit avec un sourire : « tu es une maman formidable, les enfants ont beaucoup de chance d’avoir une mère telle que toi ».
La psychologue BF Skinner a montré que les êtres humains sont gouvernés principalement par des systèmes de récompense et de punition : un comportement suivi d’un résultat positif et de félicitation sera reproduit facilement, alors qu’un comportement qui engendre un résultat négatif ou des critiques aura tendance à disparaître. Nous recherchons les sensations de plaisir et nous évitons les sensations désagréables que peuvent donc engendrer un manque de reconnaissance !
Beaucoup de mères ne se sentent ni appréciées, ni remerciées ou félicitées pour les tâches maternelles qu’elles accomplissent en donnant le meilleur d’elle-même. Il en résulte un sentiment d’inutilité, d’incompétence et parfois aussi de colère ou de ressentiment qui peuvent être sources de tensions et de disputes.
Dans le milieu professionnel, Patrick Légeron, psychiatre et auteur du livre « le stress au travail », explique que les entreprises réclament toujours plus d’investissement affectif de la part des employés pour qu’ils se sentent dans l’obligation de donner plus et mieux. Mais ce sacrifice non payé de retour et l’impression d’avoir donné en pure perte, font naître un «insupportable sentiment de frustration » et il conclut en disant que « l’absence de reconnaissance chez les travailleurs est un facteur gigantesque de stress ».
Ce psychiatre décrit la frustration des employés lorsque l’on ne vient jamais les voir pour leur dire qu’ils ont bien fait leur travail : « quand ils sont efficaces et que les résultats le prouvent, personne ne vient les remercier, ou si rarement. En revanche, à la moindre défaillance, on débarque dans leur bureau et on met le doigt sur l’erreur ». L’absence de récompense pour un travail bien fait, doublée d’une critique assurée en cas d’erreur, font partie des plus sûrs moyens pour épuiser un individu physiquement et émotionnellement et le conduire à cesser toute activité.
Difficile de ne pas faire le parallèle avec les mamans comme témoigne Roseline, 42 ans, mère de 3 enfants qui confie que « On attend toujours de moi que j’accomplisse des tâches pour lesquelles je n’ai reçu aucune formation particulière. Je ne sais pas toujours comment m’y prendre mais je sais que tout le monde autour de moi s’attend à ce que je fasse un excellent travail. Je fais de mon mieux et j’aimerais de temps en temps qu’on me dise ce que je vaux. Parfois j’ai juste envie de m’asseoir et ne plus rien faire puisque de toute façon tout le monde s’en fiche. Pourtant, j’ai dans l’idée que si je faisais ça, tout le monde me tomberait dessus, à commencer par mon mari. Autant mon boulot passe inaperçu, autant je sais que je croulerais sous les critiques si je m’avisais de cesser de le faire correctement ».
Au delà du manque de reconnaissance du travail des mamans, beaucoup d’entre elles parlent même de critiques ou de feed back négatifs de la part de leur partenaire ou de leur famille, ce qui entrave gravement leur estime d’elle-même et renforce leur sensation d’être de mauvaises mères incompétente. En effet, Hans Strupp, chercheur et psychothérapeute affirme : « j’ai constaté maintes fois chez les femmes combien une pauvre estime de soi, liée à leur rôle de mère, peut aboutir à des états dépressifs alarmants. »
Parfois les critiques de la part de l’entourage peuvent être évidente et une femme peut réussir à les esquiver, à ne pas les prendre pour soi ou à passer outre, mais les remarques dévalorisantes peuvent être beaucoup plus sournoises, subtiles et lorsqu’elles sont fréquentes elles peuvent commencer à infuser l’estime d’une mère et briser sa confiance en ses capacités à gérer.
Estelle, maman de 3 enfants en bas âge explique comment, lors du retour de son mari d’un déplacement en Thaïlande de 8 jours, il rentre au moment du bain du soir. A bout de forces et de patience, Estelle s’était alors mise à crier pour tenter de se faire obéir et son mari, sans chercher à comprendre lui dit « Tu es toujours en train de crier ! Si tu criais un peu moins et si tu t’occupais un peu mieux des enfants en étant plus calme, tout le monde serait beaucoup plus décontracté et les enfants seraient sûrement beaucoup plus gentils. Ce ne sont pas les enfants qui sont insupportables, c’est toi ! »
Une étude américaine s’est amusée à évaluer le salaire équivalent au travail fourni par une mère au foyer en demandant à 6 000 mamans de lister les dix tâches qui les occupaient le plus, et combien d’heures par semaines elles consacraient à chacune d’entre elles. Ensuite, les données salariales ont été appliquées à chaque tâche, en prenant en compte les heures travaillées et les heures supplémentaires et devinez quoi ? Les mères au foyer devraient gagner 83 000€ par an, soit près de 7 000€ par mois, pour les 94 heures effectuées en moyenne dans la semaine !
B- Les stades du burn out professionnel … et maternel !
Hans Selye parle du stress comme un syndrome général d’adaptation (SGA) qui se compose de trois phases : la phase d’alerte, le système nerveux envoie un message pour permettre au corps de réagir, puis la phase d’endurance durant laquelle le corps s’habitue à fonctionner avec un tonus musculaire, une respiration et une tension artérielle élevées, ce qui conduit à la phase d’épuisement, le corps n’ayant plus de capital énergétique. Le burn out commence là où le stress s’arrête et, d’après le Dr Christina Maslach (1980), il comprend aussi trois phases que sont l’épuisement physique et émotionnel (1), la distanciation (2) et le reniement des actes (3). Nous allons détailler ces trois étapes en faisant toujours le parallèle entre l’épuisement professionnel et maternel.
1- La phase d’épuisement physique et émotionnelle
Ce premier stade est le même que celui décrit par Hans Selye : la personne a épuisé l’ensemble de ses ressources intérieures mobilisées de façon prolongée pour faire face à une situation stressante. Elle n’a plus rien à donner en terme d’énergie physique, émotionnelle ou psychologique. Pour une maman, le capital énergie est entamé par la patience, la tolérance, la résistance à la frustration, la capacité à gérer les conflits, l’écoute et le calme,ou évidemment la résistance physique à la fatigue.
L’épuisement physique provient d’un manque de ressources nutritives qui ont été consommées et n’ont pas été renouvelées. Les grossesses arrivent en tête des événements qui pompent énormément sur les réserves puisque le corps va y puiser pour construire un petit être pendant 9 mois. Lorsque les grossesses se suivent, la femme n’a pas le temps de recharger ses batteries énergétiques comme le démontre une étude Danoise qui estime que 51 % des femmes enceintes sont au minimum anémiée. L’accouchement puise sans aucun doute dans ce capital énergétique, il en est de même pour l’allaitement et pour le manque de sommeil. Si le corps n’a pas de temps de repos suffisant (7h à 8h par nuit), la récupération physique ne peut avoir lieu et la fatigue s’accumule.
L’épuisement physique conduit à divers symptômes dont les plus courants sont les maux de tête, les nausées, les douleurs gastriques, les maux de dos, les vertiges et les troubles de la mémoire. Dès les années 1920, le physiologiste Walter Cannon insistait sur le fait que le phénomène de stress résulte de la très étroite relation existant entre le corps et l’esprit : un corps épuisé va, à plus ou moins longue échéance, entraîner l’esprit avec lui. Pour qu’une personne ait l’énergie pour faire face à une situation difficile, le corps doit être capable de lui fournir cette énergie. Si le corps n’a plus cette capacité, l’esprit va à son tour s’en trouver démuni.
Une maman épuisée émotionnellement voit sa disponibilité pour ses enfants affectée. Elle n’a plus de force physique pour intervenir aussi souvent et rapidement qu’elle le souhaiterait dans les situations où ses enfants ont besoin d’une attention ou d’une action particulière de sa part. Une maman d’un petit Julien de 5 mois explique qu’elle n’a eu aucune nuit de sommeil complète depuis sa naissance car il souffre de reflux et se réveille entre 5 et 10 fois par nuit en hurlant de douleur. « Je veux être là pour lui, pour le consoler, le réconforter, mais à chaque fois que je dois me lever, c’est comme si mes jambes se dérobaient sous mon corps. J’arrive à peine à marcher. En fait, je me traîne jusqu’à sa chambre pour le prendre dans mes bras. Tout mon corps me fait mal et j’ai parfois l’impression qu’une nuit je vais m’effondrer sans être capable de me relever. »
L’épuisement émotionnel qui accompagne l’épuisement physique se traduit par la sensation de ne plus être capable de répondre aux exigences émotionnelles des enfants. Les multiples circonstances dans lesquelles une maman doit tenir un rôle de médiatrice pour apaiser, consoler, calmer, rassurer, aider ou trancher lors de disputes, deviennent des situations éprouvantes qui exigent d’elle calme, objectivité, concentration, efficacité et avant tout patience. En dépit de sa fatigue, une maman continuera d’essayer de donner le meilleur d’elle même, de faire face même si ses limites sont déjà largement dépassées et elle rentrera alors dans la deuxième phase du burn out maternel, celle de la distanciation.
2- La phase de distanciation et de détachement
Puisque la mère n’a pas d’autre choix que de continuer à assumer ses responsabilités, de façon inconsciente, elle va commencer à mettre de la distance et du détachement par rapport aux situations de stress qui l’entourent pour en limiter les effets. Le détachement est défini comme un état d’esprit dans lequel un individu n’est plus affecté par des situations de la vie courante qui d’ordinaire le font réagir. Si la mère ne permet plus aux sources de stress de l’affecter, si elle les aborde avec une certaine indifférence, alors l’énergie nécessaire pour y faire face n’a plus besoin d’être aussi importante et surtout ne fera pas appel aux mêmes exigences émotionnelles.
Avec cette phase de distanciation, la mère se protège instinctivement car elle sent que si elle ne met pas en place ce type de mécanisme de défense, elle risque de s’effondrer, ce qui est en aucun cas envisageable. Il faut bien comprendre qu’un salarié au même stade d’épuisement se verra obtenir un arrêt de travail pour une durée plus ou moins longue de repos forcé. Une mère n’a pas cette possibilité, même en vacances, elle emporte son travail avec elle ! Il est primordial de garder en tête cette raison sous jacente, car le détachement d’une mère avec ses enfants peut être dérangeant voir choquant.
Stéphanie Allenou est une maman qui a osé témoigner de sa descente aux enfers du burn out maternel dans un livre intitulé « mère épuisée ». Elle y évoque cette distance qui s’installe : « Petit à petit, je sens que, de plus en plus de choses glissent sur moi. Certains réflexes tendent à disparaître. Je suis parfois comme indifférente à ce qui peut arriver à mes enfants. Si l’un d’entre eux trébuche, au lieu de me précipiter pour le rattraper ou pour amortir sa chute, voire pour le consoler s’il est déjà à terre, comme je le ferais en temps normal, je ne réagis pas : je le regarde, sans émotion, et je ne bouge pas. S’il pleure, je lui en veux presque de me tirer de ma torpeur, car alors je me mets à avoir mal pour lui »
Dans les milieux professionnels où l’aide, l’écoute et l’implication émotionnelle sont omniprésentes, comme les aidants médicaux, les sapeurs pompiers ou les thérapeutes, il y a un risque de ce qu’on appelle l’usure de compassion ou le stress vicariant. Il s’agit d’un épuisement qui touche particulièrement les personnes qui côtoient quotidiennement des victimes d’accidents, qui écoutent des vécus traumatiques, qui accompagnement des malades et des mourants et dont toute la souffrance humaine s’infiltre peu à peu dans leur système personnel. Cette usure compassionnelle touche principalement les personnes au grand cœur qui désirent comprendre, sentir les émotions des autres et qui ont un ardent désir d’aider, en faisant passer les besoins de l’autre avant les leurs en négligeant de prendre soin d’elles. Savoir mettre à distance émotionnellement, est un outil qui est enseigné consciemment aux professionnels concernés pour pouvoir rester efficaces. Certains psychologues font le parallèle avec les stress que peuvent ressentir les mères du fait de leur investissement affectif.
Si cette distanciation peut être une protection nécessaire, lorsqu’elle s’installe et se développe, elle peut amener à mettre en péril la sécurité ou la surveillance de l’enfant. Une maman témoigne à chaudes larmes de son calvaire quotidien avec son quatrième enfant qui refuse de mettre sa ceinture de sécurité. Chaque fois qu’elle tente de l’accrocher, il se débat, s’arc-boute en hurlant jusqu’à ce qu’elle lâche prise. Soucieuse de sa sécurité, cette maman s’était battue à maintes reprises pour qu’il obéisse, mais la situation tournait invariablement au drame et elle reconnaît qu’avec le temps elle n’a plus eu la force de lutter. « J’ai fini par ne plus trouver d’énergie pour affronter ses cris et ses gesticulations et maintenant il voyage sans ceinture. Si je dois donner un coup de frein, je suis consciente qu’il risque de se trouver projeté contre le pare brise, mais j’accepte cette possibilité car je n’ai plus en moi l’énergie de me battre ».
Les exemples de détachement face à des situations qui font encourir un risque pour l’enfant sont nombreux et sachez que cette maman est décrite comme exceptionnelle et s’occupant merveilleusement de ses 4 enfants, mais la fatigue continuelle et le stress associé à l’éducation ont eu raison de ses forces. La distanciation n’est pas un mode de protection qu’une mère choisi consciemment mais cela lui permet de continuer à assumer ses responsabilités maternelles. Démissionner de son travail de mère n’est pas une option qui s’offre à elle. Elle doit donc trouver un moyen pour rester le plus fonctionnelle possible.
3- Reniement des accomplissements passés, présents et futurs
Lors du passage dans la phase de distanciation, il est aisé de comprendre à quel point l’estime et la confiance d’une mère se trouve alors au point mort. L’idéal de la mère parfaite qu’elle souhaitait être est relégué aux oubliettes et la femme va alors entrer dans la troisième phase du burn out qui consiste ni plus ni moins, à renier tous les accomplissements passés, présents et futurs. La maman va s’enfoncer peu à peu dans une spirale d’auto-critique, où seuls les aspects négatifs de ce qu’elle accomplit sont apparents.
Privée de ses forces et de son énergie, la maman, à ce stade, perd confiance en elle et en ce qu’elle fait et est. Elle ne correspond pas à ce qu’elle voudrait être et elle le sait. Son jugement et ses actions lui paraissent inappropriés. L’angoisse et le doute sont omniprésents, et son image d’elle même devient négative,ce qui l’amène à une autocritique souvent sévère.
Au niveau professionnel, cette étape de reniement des tâches accomplies est présente lorsque la personne prend conscience de l’écart qui se creuse entre l’idée qu’elle se faisait de son travail et la réalité. Il y a alors une comparaison entre ce qu’elle voulait être et ce qu’elle considère être devenue. Lorsque cet écart est trop grand, l’image et l’opinion de soi deviennent négatives et la personne va minimiser ses actes, sous estimer ses compétences et douter de ses capacités comme en témoigne Magalie « Je voulais être assistante sociale depuis que je suis toute petite. Quand je suis entrée dans la profession j’étais fière et je voulais changer la vie des gens, mais avec le temps, je me suis rendue compte que les changements que j’apportais étaient toujours éphémères ou limités. Je me suis investie à fond dans ce métier mais je ne suis pas sûre que cela ait servi à grand-chose. Tout mon enthousiasme a disparu et aujourd’hui, c’est moi qui ai envie de changer de vie. »
Lorsque ce troisième stade du burn out est atteint, l’individu est déjà affaibli psychologiquement, physiquement et émotionnellement. Il va investir de moins en moins de temps et d’énergie dans un travail qui l’use progressivement et il finit par ne faire que le strict minimum. Non seulement il en fait le moins possible, mais la qualité de son travail se dégrade. Produire un travail de qualité demande du temps, de l’effort, de la motivation et de la créativité et un investissement personnel important, et l’individu victime du burn out n’est plus capable de faire don de telles qualités.
Des situations futiles doivent nous mettre la puce à l’oreille pour reconnaître qu’une maman se trouve peut être en burn out. Ce peut être une maman qui a fait un magnifique déguisement de princesse pour sa fille, une amie la félicite sur sa réalisation et elle répond d’un ton maussade et désabusé : « Oh, non, franchement, c’est pas super et puis il y en avait de beaucoup plus belles au carnaval. Et puis, ce n’’est pas être une bonne maman de faire un déguisement, je ne travaille pas, je n’ai pas les moyens de lui en acheter un ! »
Les compliments ne sont alors mêmes plus entendus, il y a comme une lassitude, une indifférence aux encouragements et c’est la chute libre. La maman peut alors perdre complètement confiance dans ses compétences et cela posera un problème important lorsqu’un éventuel retour au travail sera envisagé. En effet, certaines jeunes femmes ont eu des enfants jeunes, sans occasion d’accumuler de l’expérience professionnelle. Or, ce manque rajouté à cet effondrement de l’estime et de la confiance en soi sera source de démotivation extrême, de souffrance et d’impossibilité de se vendre sur le marché du travail. « Quel travail je peux faire ? je ne sais rien faire ! Je n’ai pas fait assez d’études, franchement, je ne vois pas quel emploi je pourrais avoir. Je n’ai jamais rien fait d’autre que de m’occuper de mes enfants et de la maison. »
C- Les conséquences de l’épuisement maternel
Nous pouvons aisément imaginer les conséquences de cet état d’épuisement sur la maman comme les insomnies, l’irritabilité, l’intolérance, l’isolement ou le repli sur soi, la consommation de médicaments ou les crises de colère qui peuvent émerger de plus en plus fréquemment. Mais il est inévitable de parler des conséquences spécifiques du burn out maternel sur le couple (1), mais aussi sur le lien mère-enfant (2) et malheureusement nous comprenons qu’il est important d’aborder l’indicible, la maltraitance (3).
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Les conséquences sur le couple
Nous l’avons déjà dit, l’attitude de soutien du père est primordiale dans la gestion de l’épuisement maternel. Un mari qui dénigre ou critique sans cesse les faits et gestes de son épouse quant à la gestion des enfants, leur éducation ou l’entretien du foyer, aura un impact immense sur son moral et sa confiance.
Dans son livre « l’agression verbale dans le couple », Patricia Evans insiste sur la gravité de la dénégation d’un partenaire à propos de la réalité et de l’expérience difficile que peut être la maternité. En effet, cela peut même aboutir à une forme de déni et de manipulation négative lorsque « Le mari peut démentir, mais aussi déformer la véritable perception de son épouse. Le partenaire ne tient pas compte du vécu ou des sentiments de l’autre comme s’ils ne valaient rien, qu’ils n’étaient pas réels et donc qu’ils n’étaient pas valides ». Cette attitude de nier la réalité du quotidien d’une maman est fréquente puisque selon un sondage Américain, seules 20 % des femmes estiment que leur partenaire de vie est suffisamment soutenant et le reste évoque une totale inconscience de la charge de travail qu’elle rencontre au quotidien.
Une maman épuisée qui se sent peu soutenue ou incomprise par son conjoint va peu à peu devenir irritable et prendre à cœur chaque réflexion ou commentaire de son partenaire même si ceux ci sont absolument anodins. Une maman expliquait comment un simple « as-tu vu mes lunettes ? » pouvait être le prétexte à un déversement de reproches et de règlement de compte : « Mais tu crois que j’ai le temps de vérifier où tu poses tes lunettes ? J’ai déjà les courses, le ménage, l’éducation de TES trois enfants qui ne m’écoutent absolument pas la moitié du temps et je devrais en plus gérer tes affaires ? Tu me prends pour ta mère, il fallait me prévenir que j’avais en fait j’ai quatre enfants à la maison ! ».
Les sentiments amoureux peuvent alors s’altérer au fil du temps, laissant place à des sentiments de frustration et d’inutilité considérables, qui attaquent la mère dans son amour propre et sa confiance en elle. Le risque est que progressivement, la femme s’éloigne de son partenaire, physiquement, affectivement et la communication peut se rompre.
Je tiens à souligner ici que les difficultés que l’on peut rencontrer à la naissance d’un enfant, peuvent être également ressenties par les papas. Même si cela est moins fréquent, du fait de la rareté des pères au foyer, le burn out paternel existe et actionne d’autres mécanismes que ceux d’une mère. En effet, Evelyne Exbrayat évoque le fait que l’arrivée d’un enfant peut être traumatisante pour un homme en ce sens qu’il peut faire resurgir des événements douloureux de son enfance ou une relation extrêmement difficile avec ses propres figures parentales. De plus, la pression qu’un homme se voit mettre inconsciemment sur ses épaules lorsqu’il devient père, peut l’amener à éprouver une peur majeure et à décompenser ou perdre pied. Si auparavant la société et les femmes attendaient beaucoup des hommes, elles en attendent tout autant des pères aujourd’hui.
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Les conséquences sur le lien mère-enfant
Le burn out maternel peut altérer gravement le lien entre la mère et son bébé, or c’est ce lien qui, lorsqu’il est fort et sain, permet un développement sécure et stable de l’enfant. En cas d’épuisement de la maman, il y a ce qu’on appelle une dépersonnalisation du lien, c’est à dire qu’il n’y a plus d’affection, que la mère ne réalise que les gestes d’hygiène et de survie de sa progéniture. Sans plaisir, sans envie, juste nourrir pour nourrir, habiller pour habiller et laver pour laver. Tout, dans les gestes de la mère, devient fade et mécanique.
Je n’évoquerai pas la triste expérience de l’Empereur Frédéric II, au XIII ème siècle qui souhaitant découvrir l’origine des langues, empêcha des nourrissons d’entendre la moindre parole, mais je citerai une étude d’université du Wisconsin, qui cherche à étudier les liens entre maturation cérébrale et interactions sociales et comment les soins donnés au nourrisson durant ses premiers mois de vie peuvent modifier la production d’hormones jugées cruciales dans la régulation des comportements sociaux. Pour les psychologues américains, l’absence précoce de soins et d’affection altère le développement normal de la sécrétion de la vasopressine et de l’ocytocine : « Les perturbations de ce système pourraient interférer avec les effets calmants et réconfortants qui émergent entre les jeunes enfants et les proches qui leur procurent soin et affection. »
Selon une étude de Mme Magalie Pinon intitulée «le normal et le pathologique dans la relation mère-enfant » : on observe chez les mamans dépressives ou épuisées, une attitude de retrait associé à un comportement passif de l’enfant. Celui ci développe une hyperadaptation aux humeurs de sa mère en essayant de ne jamais franchir son seuil de tolérance, en ne la désorganisant pas et en évitant de se mettre en danger en étant vécu comme le persécuteur. Le problème est que cette organisation défensive va à l’encontre des processus de maturation de l’enfant, puisqu’une partie de son énergie psychique sert à contrôler, maîtriser ses interactions, le mettant dans un état d’alerte permanent. Une dépression ou un épuisement maternel n’entraînent pas systématiquement l’apparition d’une psychopathologie chez l’enfant, car d’autres facteurs comme le tempérament, les prédispositions génétiques, l’environnement influencent son évolution.
Une maman épuisée va avoir deux façons d’interagir avec son ou ses enfants : soit l’évitement, soit la colère intrusive.
Les mères dont le style d’interaction est basé sur l’évitement, se comporte de façon distante avec leur bébé, elles évitent leur regard et ignorent les tentatives de communication qu’ils peuvent envoyer. Les mères dont le style d’interaction est basé sur la colère, passent plus de temps avec leur enfant , mais leurs interactions sont empreintes de ressentiments. Les chercheurs ont démontré que ces deux styles d’interactions généraient une augmentation des taux d’hormone de stress cortisol aussi bien chez les enfants que chez les bébés.
Un passage de Stéphanie Allenou illustre cette distance ou cette colère ressenties quand elle confie sa détresse : « Il me prend très souvent l’envie de partir, de quitter toute la famille. Par trois fois, lors de sorties au parc, je suis à deux doigts de franchir le pas. Je me vois m’éloigner pendant que ma fille et les jumeaux jouent dans leur coin. Je me dis qu’il ne s’en rendront pas compte tout de suite, de mon absence et que les autres mamans verront vite qu’ils sont seuls et donneront l’alerte. Et moi, pendant ce temps, je pourrai dormir, ou simplement essayer de retrouver mes sensations. Je me dis alors que ce serait horrible pour eux d’avoir une maman condamnée, alors j’ai pitié et je reste au parc à ruminer ma rage et mon impuissance ».
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La violence et la maltraitance
La frontière est ténue entre distanciation extrême ou colère et violence ou maltraitance. C’est toujours Stéphanie Allenou qui aura le courage d’avouer que l’épuisement maternel l’a poussée à être ce qu’elle n’aurait jamais imaginé devenir, une mère maltraitante. Son témoignage est poignant et éprouvant à entendre, mais nécessaire pour comprendre à quel point il est vital de se poser les bonnes questions sur la fatigue des mères et de mettre en place une prévention et un soutien adéquate. C’est tout l’objet de cette conférence, sensibiliser et soutenir pour ne pas arriver au pire.
Stéphanie Allenou confie : « une sourde angoisse monte petit à petit. La rage intérieure que je tente de maîtriser est croissante et j’explose fréquemment, mais jamais en public. Je crie fort, de plus en plus fort et je tape maintenant facilement, des fessées souvent, des gifles parfois. Je suis submergée par une vague qui part du ventre, monte très très vite vers le haut du corps et s’étend jusqu’au bout de mes doigts, tendus à l’extrême. J’ai le cœur qui s’emballe et mon visage change brusquement d’expression. Tout sort, hors de mon contrôle. Je me sens complètement étrangère à moi même. J’essaye pourtant de combattre tous les jours cette rage intérieure qui me dévore, j’y mets alors toute mon énergie mais le combat est inégal et je me noie. Le simple fait de tenter de me retenir me vide complètement. J’ai tellement peur de succomber et d’en arriver à être vraiment violente envers mes enfants. Eux, finissent par prendre l’habitude de lever les bras pour se protéger, même lorsque je ne fais que les gronder gentiment. C’est terrible. J’ai tellement honte et j’ai tellement mal pour eux, c’est insoutenable. »
Qu’entendons-nous par mauvais traitements ? En France, L’Observatoire National de l’Action Sociale Décentralisée (ODAS) estime que « l’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligence lourde ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique ». Aujourd’hui les chiffres de la maltraitance sont en hausse constante et sont plus que terrifiants : aux Etats Unis, on estime à 2000 enfants qui meurent chaque année de violence des parents, 18 000 se retrouvent handicapés, suite à de mauvais traitement et environ 140 000 sont gravement blessés. Il faut également garder à l’esprit que la moitié de ces petites victimes ont moins de 6 ans.
Quand le burn out est à son comble, quand le corps et l’esprit lâchent prise parce que leurs limites ont été depuis bien longtemps dépassées, quand les émotions s’effacent parce qu’elles n’ont plus la force d’exister, il reste parfois l’inconcevable, l’inavouable et surtout l’irréparable. Il n’est pas rare pour une mère à bout de patience d’en arriver à crier, insulter et frapper. L’ampleur et la gravité de ce type de comportement varient selon l’intensité de l’épuisement dont souffre la mère, son isolement face au problème et le temps depuis lequel elle y est confrontée.
Heureusement toutes les mamans fatiguées n’en viennent pas à ce drame qu’est la maltraitance d’un enfant, plusieurs facteurs sont reconnus comme y contribuant dont quatre principaux : le passé familial, le nombre d’enfants, l’environnement familial et la qualité des liens sociaux. Dans tous les cas, l’association américaine de pédiatrie, insiste sur le fait que l’élément déclencheur numéro un des épisodes de violence est toujours le même : le stress. C’est pour cette raison que les sophrologues ont un rôle important et peuvent devenir les interlocuteurs privilégiés des mamans épuisées. Apprendre à une mère à gérer sa fatigue, à réduire son stress et à amadouer ses émotions, peuvent prévenir l’apparition du burn out ou aider une maman épuisée à refaire surface
Par Laura Jauvert – Sophrologue